Sur la rhétorique turque
N. Lygeros
Nous savons tous que la Turquie est un pays civilisé puisqu’elle n’a pas commis de génocide, elle n’a pas détruit systématiquement des peuples. Nous savons aussi que contre toute attente, en Turquie c’est l’armée qui est la garante de la démocratie. A présent nous savons que c’est le candidat islamiste qui sera le garant de la laïcité de son pays. Aussi nous ne pouvons manquer de constater que cette rhétorique ne peut laisser indifférent même les plus indifférents. Ce retournement absurde des choses n’est certes pas dénué d’humour lorsque nous l’analysons avec la désinvolture qui sied. Cependant comment accepter de telles inepties lorsque autour de nous, nous ressentons la présence des victimes du génocide, lorsque nous avons des amis qui ont été maltraités par le régime militaire, lorsque nous connaissons des journalistes qui sont assassinés. Même avec humour, cette rhétorique turque est tout simplement intolérable lorsque nous connaissons les faits historiques. Seulement il faut bien se rendre compte que la réalité turque est pour ainsi dire inconnue de la plupart des gens. Aussi cette rhétorique permet de les toucher car ils n’ont pas conscience qu’elle constitue un oxymore. La réécriture de l’histoire lorsque celle-ci a été effacée ressemble étrangement à l’écriture de l’histoire. Les gens qui n’ont pas accès aux événements vivent dans une virtualité créée par la propagande turque. Sans le réaliser, ils ne réfléchissent qu’à travers le dogme turc. Ce dernier les manipule à outrance au point que les accusations d’Amnesty International ressemblent paradoxalement à un travail de propagande de la part d’extrémistes dans le domaine des droits de l’Homme. Ce qui est tout de même le comble. Lorsque l’Union Européenne montre dans son rapport sur l’état d’avancement des réformes en Turquie, que tout le système est ralenti et n’avance absolument pas selon le calendrier européen, nous entendons les plus ouverts de la population dire que nos critères sont trop durs. Lorsque nous osons parler de critères d’absorption de l’Union Européenne, nous sommes trop excessifs. Dans tous les cas ce sont toujours les autres qui sont en cause et jamais la Turquie qui se pose en victime. Or la Turquie peut tout revendiquer sauf le statut de victime. A présent, les nouvelles tentatives de la Turquie dans le domaine de la rhétorique, concernent directement la population interne. Seulement pour le système turc, il s’agit à nouveau d’un combat avec l’extérieur. Car en Turquie, même la population locale est considérée avec suspicion. En effet, malgré le travail de propagande, la Turquie sait combien sa population est hétérogène. Aussi la moindre perturbation des données sur la laïcité peut avoir des répercussions considérables. Il s’agit donc de la convaincre afin qu’elle accepte cet état de l’absurde où règne l’oxymore politique. Peu importe ce que disent les observateurs prétendument indépendants, la réalité c’est que la Turquie est en pleine crise. Ses tentatives de le cacher ne trompent que ceux qui le veulent bien mais la réalité orientale ne change pas.