N° 2642
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2015.
PROPOSITION DE LOI
relative à la reconnaissance du génocide assyrien de 1915,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Mme Valérie BOYER, Damien ABAD, Dominique DORD, Alain SUGUENOT, Josette PONS, Élie ABOUD, Guy TEISSIER, Sylvain BERRIOS, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Claude BOUCHET, Lionnel LUCA, Jean-Michel COUVE, Marcel BONNOT,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
« Nous avons tous été des juifs allemands, nous avons tous été des Charlie, et bien je crois que nous devons tous être des Chrétiens d’Orient. »
Cette phrase prononcée par Jean d’Ormesson, nous rappelle qu’à l’aube de la commémoration du centenaire du génocide arménien, les persécutions des Chrétiens d’Orient se poursuivent en Syrie comme en Irak et s’amplifient de façon alarmante.
Dès l’été 2014, les Chrétiens, présents depuis 2 000 ans en Irak et en Syrie, se sont vus apposer une lettre les désignant comme nazaréen qui marque d’un sceau ces populations comme d’autres mettaient l’étoile jaune. Puis, ils ont reçu un ultimatum par les djihadistes de l’État islamique :
– se convertir à l’Islam ;
– s’acquitter d’un impôt spécial pour les non-musulmans ;
– fuir et tout abandonner ;
– ou bien rester et être exécuté « par le glaive ».
Depuis, la quasi-totalité des chrétiens ont fui pour échapper aux persécutions.
Pour ceux qui sont encore présents, ils sont victimes des pires atrocités : autodafés, saccage des églises, des musées, des monuments, de crucifixions, des tortures, des femmes réduites à l’état d’esclaves sexuelles ou encore des exécutions. Ces atrocités nous rappellent l’horreur du génocide arménien. Les pires exactions sont commises.
Aujourd’hui, les chrétiens d’Orient sont en danger de mort et nous sommes les témoins de ce massacre annoncé. Selon l’Évangile de Saint-Luc, « s’ils se taisent, les pierres crieront » mais il sera trop tard, et demain qui parlera l’Araméen ? Qui parlera la langue du Christ ?
Cent ans après 1915, l’histoire bégaie, c’est dramatique !
Pourquoi la France doit-elle reconnaître ce génocide ?
Nous avons un rôle de protection envers les Chrétiens d’Orient, qui est l’héritage d’une longue histoire remontant aux capitulations signées par François 1er avec le sultan Soliman le Magnifique en 1535.
La mémoire et l’histoire contribuent à l’identité des peuples. L’oubli et la négation portent atteinte au respect de la dignité humaine.
Ban Ki Moon, secrétaire général de l’ONU affirmait le 20 juillet dernier que les actions intentées contre les chrétiens pouvaient être considérées comme un crime contre l’humanité.
Mais il s’agit d’un véritable génocide, comme je l’avais dénoncé à l’occasion des questions au Gouvernement le 23 juillet 2014. Ce génocide est aussi celui de la matrice de notre civilisation et nous oblige à agir au nom de l’Histoire et des engagements de la France.
Ne laissons pas la France faillir à son devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes d’Orient pour ne pas faire rougir l’Histoire !
Quel avenir pour ces peuples martyrs et oubliés ? Le génocide des Assyro Chaldéens et Syriaques a été ignoré, il continue à l’être et aujourd’hui les Chrétiens d’Orient sont victimes d’un nouveau génocide. Sur le plan historique, rappelons que malheureusement, ces massacres à l’encontre des Chrétiens d’Orient ne sont pas les premiers de notre Histoire.
Si le génocide assyrien a eu lieu durant la même période et dans le même contexte que le génocide arménien et des Grecs Pontiques, il n’est aujourd’hui toujours pas reconnu par la France, alors même qu’elle était liée par les accords Sykes Picot de 1916 et son rôle de protecteur.
Le génocide assyrien se réfère au meurtre en masse de la population « assyrienne » de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. La population assyrienne du nord de la Mésopotamie (régions du sud est de l’actuelle Turquie et la région du nord-ouest de l’Iran) a alors été déplacée de force et massacrée par les forces ottomanes (turques) et les forces kurdes.
Les estimations sur le nombre total de morts varient entre 500 000 et 750 000 morts, soit environ 70 % de la population assyrienne de l’époque.
La population assyrienne sous l’Empire ottoman s’élevait à environ un million de personnes au début du XXe siècle et était largement concentrée dans ce qui est maintenant le Nord-Ouest de l’Iran, l’Irak et la Turquie. Comme les autres chrétiens de l’empire, ils étaient traités comme des citoyens de deuxième classe et ne pouvaient accéder à certains postes. Beaucoup d’Assyriens ont été soumis au brigandage kurde, massacrés ou encore convertis de force à l’islam, comme ce fut le cas des communautés assyrienne et arménienne de Diyarbakir durant les massacres de 1895 et 1896.
À la suite du traité de Lausanne de 1923 tenu à Istanbul, les Arméniens, les Grecs et les Juifs survivants obtiennent le droit de pratiquer librement leur religion.
C’est dans ce cadre, qu’au travers des associations assyriennes de la diaspora, l’Union Européenne a tenté d’exercer une pression sur le gouvernement turc pour ainsi faire reconnaître ce peuple.
En 2007, l’Association internationale des spécialistes des génocides (International Association of Genocide Scholars) est parvenue à un consensus selon lequel « la campagne ottomane contre les minorités chrétiennes de l’Empire entre 1914 et 1923 constituait un génocide contre les Arméniens, les Assyriens et les Grecs pontiques d’Anatolie. » et adopte avec une écrasante majorité (83 % des voix) une résolution reconnaissant officiellement le génocide assyrien.
Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays, organisations internationales et considéré comme l’un des quatre génocides officiellement acceptés par l’ONU, le massacre des Assyriens souffre du manque de reconnaissance en tant que génocide.
Ce manque de reconnaissance est sans doute dû au fait que la nation assyrienne est souvent méconnue. En effet, ayant été réduit de plus de 70 % en 1915, ce peuple a souffert tant au niveau politique que social, économique, identitaire et démographique. Cependant depuis l’émigration en masse des Assyriens en Europe, aux États Unis et en Océanie au cours des années 1970 à 1990, causée par les persécutions qu’ils ont continué à subir dans leur terre natale (Turquie, Irak, Syrie, Iran et Liban), une lutte croissante s’organise pour la reconnaissance. Ce qui explique la raison pour laquelle les reconnaissances sont assez récentes.
À l’heure actuelle, de nombreux États ont reconnu ce génocide, tels que la Suède, l’Australie ou l’État de New York.
Parce que nous sommes à la fois des protecteurs historiques des Chrétiens d’Orient, mais aussi le pays des Droits de l’Homme, ces « génocides » du XXe siècle, comme du XXIe siècle, ne doivent pas faire face à la passivité de la communauté internationale. La lutte contre la barbarie doit mobiliser l’ensemble des pays du Monde et nous devons reconnaître le génocide des Chrétiens d’Orient.
Les actes commis par les forces ottomanes il y a 100 ans, comme ils sont commis aujourd’hui par l’État islamique de Daesh, doivent être considérés comme un crime de génocide au sens de l’article 6 du Statut de Rome et comme des crimes contre l’humanité au sens de l’article 7 du même texte. Hélas, aujourd’hui, nous ne pouvons que déplorer la passivité de l’ONU pour la protection de ces minorités, victimes de tortures et de purification ethnique (exil de milliers de chrétiens, de Kurdes et de Yazidis). C’est pourquoi, il est impératif, que la plainte déposée à la Cour Pénale Internationale, par la Coordination des Chrétiens d’Orient en Danger, aboutisse.
Rappelons-nous cette phrase d’Elie Wiesel, qui disait : « En niant l’existence d’un génocide, en l’oubliant, on assassine les victimes une seconde fois ». Avec cette proposition de loi et la reconnaissance du génocide assyrien de 1915, le Parlement français, dans son ensemble, s’honorera de s’inscrire, comme d’autres Parlements nationaux, dans cette démarche profondément démocratique et permettra de ne pas oublier les Chrétiens d’Orient qui meurent chaque jour.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
La France reconnaît publiquement le génocide assyrien perpétré pendant la Première Guerre mondiale.
Article 2
La France commémore chaque année le 24 avril la mémoire des victimes du génocide assyrien de la Première Guerre mondiale.