Thursday, July 26, 2012

    Cinq mouvements pour un silence



    Cinq mouvements pour un silence


    N. Lygeros

    Composition
    Premier mouvement : Allegro
    Deuxième mouvement : Andante
    Troisième mouvement : Scherzo
    Quatrième mouvement : Variazione
    Cinquième mouvement : Finale

    Musiques 
    1. Prokofiev : Roméo et Juliette (suite de ballet). Montaigus et Capulets
    2. Beethoven : Symphonie No 7 en la majeur, Opus 92. Allegretto (Marcia funebre)
    3. Beethoven : Symphonie No 9 en ré mineur, Opus 125. Molto vivace
    4. Mozart : Requiem d-moll KV 626. Tuba mirum
    5. Mozart : Requiem d-moll KV 626. Requiem/Aeternam 
      
    Cette pièce, construite comme une composition, évoque le thème de la résistance de la mémoire face à l'oppression de l'oubli. Sans se contenter de se souvenir, les hommes décident de ne pas oublier. A travers ce choix étrange, nous apercevons le problème de la conscience collective qui transcende le mur des mots pour atteindre le silence.

      
    Premier mouvement
    Allegro

    Luc, Marc.
    La scène est vide de tout objet. Il est difficile d'identifier sa nature. Elle représente le symbole musical. Un personnage fait irruption sur la scène. Il tient un journal d'une main et une chaise de l'autre. Il traine la chaise rapidement.

    Luc

    Je ne pensais pas que cela fut possible... Silence.
    Il s'asseoit sur la chaise et regarde le journal avec étonnement.
    Un autre personnage arrive lui aussi en trainant une chaise. Il s'asseoit en opposition au premier personnage. Ils sont dos à dos à présent.

    Marc

    Je crois au contraire que tout est possible...
    Luc se penche vers Marc.

    Luc

    As-tu lu le journal ?

    Marc

    Non !

    Luc

    Alors comment peux-tu savoir de quoi je parle ?

    Marc

    Je ne le sais pas.

    Luc

    Tu es insupportable !

    Marc

    C'est quelque peu excessif tout de même !

    Luc

    Le sujet est grave.

    Marc

    J'en conviens... Un temps. Cependant cela change-t-il quelque chose ?

    Luc

    C'est bien là tout le problème !

    Marc

    Quel est le thème de notre conversation d'aujourd'hui ?

    Luc

    Un crime qui n'a peut-être pas existé !

    Marc

    Quel drôle de sujet !

    Luc

    Il est pourtant à la une... Il montre le journal.

    Marc

    Cela ne prouve rien... De quoi s'agit-il ?

    Luc

    De génocide... Silence.
    Marc se retourne brusquement.

    Marc

    Je croyais que tu plaisantais.

    Luc

    Tout le monde pense qu'il s'agit d'une plaisanterie.

    Marc

    Tu parles sérieusement ?

    Luc

    Oui. Silence.
    Il lui tend le journal. Marc parcourt l'article. Son visage s'attriste.

    Marc

    Ils sont inconscients. Un temps. Comment peuvent-ils plaisanter à ce sujet.

    Luc

    Car de nos jours, tout est sujet à plaisanterie.

    Marc

    Mais ici ce n'est même pas un crime de guerre, c'est un crime contre l'humanité.

    Luc

    Qu'importe pour eux il ne s'agit que de mots.

    Marc

    Mais ces mots blessent la mémoire !
    Luc

    Les hommes qui ont survécu au génocide meurent peu à peu et avec eux, leur mémoire.

    Marc

    Alors nous devons agir !

    Luc

    Mais comment ?

    Marc

    Nous devons nous souvenir pour eux.

    Luc

    Cela ne suffira pas !

    Marc

    Alors nous ne devons pas oublier ! Silence.

    Luc

    Oui, c'est cela... Un temps. Seule la mémoire peut vaincre la mort.

    Marc

    C'est pour cela qu'ils tentent d'assassiner notre mémoire.

    Luc

    Cependant nous ne sommes ni Arméniens, ni Assyro-Chaldéens, ni Chypriotes, ni Grecs, ni Juifs, ni Kurdes, ni... !

    Marc

    Cela n'est pas une raison ! Au contraire !

    Luc

    Au contraire ?

    Marc

    Comme la mémoire n'a pas marqué notre corps, elle doit marquer notre esprit.

    Luc

    As-tu conscience de l'effort que cela représente ?

    Marc

    Un devoir de mémoire, n'est pas un effort. Un temps. Nous n'étions pas là au moment des évènements mais nous serons présents désormais.

    Luc

    Nous ne sommes pas responsables des vies du passé mais de la mémoire du futur ! Silence. Seulement qui nous croira ?

    Marc

    Les hommes qui savent souffrir...

    Luc

    Mais ils sont si peu !

    Marc

    C'est le principe de la résistance.

    Luc

    Tu veux dire que les résistants sont toujours peu nombreux.

    Marc

    Oui, ils ne le deviennent que lorsqu'ils ont réussi.

    Luc

    Et s'ils échouent ?

    Marc

    En général, nous les oublions.

    Luc

    Nous aurons besoin des autres.

    Marc

    Nous avons toujours besoin des autres.

    Luc

    Viendront-ils ?

    Marc

    Ils viennent toujours !

    Luc

    Mais cette fois, c'est différent.

    Marc

    Alors ils ne repartiront plus.

    Luc

    Je n'arrive pas à croire qu'ils tentent d'assassiner la mémoire.

    Marc

    C'est pourtant la réalité ! Un temps. Et si nous ne résistons pas, ils vont y parvenir.

    Luc

    Que pouvons-nous faire ? Un temps. Nous ne sommes que des hommes...

    Marc

    C'est parce que nous sommes des hommes que nous devons résister.

    Luc

    Quelqu'en soit le prix ?

    Marc

    La mémoire n'a pas de prix.

    Luc

    J'ai peur de la mort...

    Marc

    C'est l'oubli que nous devons craindre, la mort est naturelle, l'oubli est inhumain !
    Ils quittent la scène en laissant les chaises.
    Andante
    Sur la scène, nous discernons avec peine la silhouette de deux personnages attachés à des chaises. Ils semblent abattus. Leurs têtes penchent misérablement vers le sol froid. Silence. Tout à coup, ils reçoivent de l'eau glacée. Ils se relèvent brusquement. Au même instant, une douche intense les éclaire.

    Anne

    C'est la fin ?

    Jean

    Non, c'est le commencement !

    Anne

    Cela ne finira donc jamais.

    Jean

    Ils nous veulent vivants... Un temps.

    Anne

    Pour quelle raison ?

    Jean

    Si nous mourons, d'autres se souviendront de nous... Un temps. Ils veulent que nous oubliions !

    Anne

    Mais comment oublier un génocide ?

    Jean

    Certains l'ont fait et d'autres le feront.

    Anne

    C'est indigne !

    Jean

    Nul besoin de dignité pour vivre.

    Anne

    Mon Dieu ! Elle penche la tête.

    Jean

    Redresse-toi, ils nous regardent.

    Anne

    Nos bourreaux ne me font pas peur, c'est de nos corps que j'ai peur.

    Jean

    Ils n'en veulent qu'à notre esprit !

    Anne

    L'aveu de l'oubli... Silence.

    Jean

    Tant que nous serons ici, les autres lutteront pour nous.

    Anne

    Nous ne sommes donc pas seuls ?

    Jean

    Nous sommes toujours seuls, mais d'autres partagent la même solitude.

    Anne

    Les hommes aux ailes brisées.

    Jean

    Elles ne sont pas toutes brisées... Un temps.

    Anne

    Tant que l'un d'entre nous restera vivant, l'oubli ne vaincra pas.

    Jean

    Non, tant que l'un d'entre nous n'aura pas avoué la mort de la mémoire.
    Ils se retrouvent dans l'obscurité.

    Anne

    Jean ! Jean !

    Jean

    Je suis là, près de toi.

    Anne

    Ils vont nous frapper à nouveau ?

    Jean

    Oui mais nous résisterons. Un temps. Surtout n'ouvre pas la bouche...
    Nous entendons des coups et des bruits sourds. Puis le second mouvement de la septième de Ludwig van Beethoven. Allegretto Marcia funebre.
    Obscurité totale.

    En bord de scène. Eclairage arrêté. Trois personnages discutent à voix basse.

    Matthieu

    Ils ont arrêté deux des nôtres... Silence. Anne et Jean.

    Marc

    Nous devons tout faire pour qu'ils les relâchent.

    Luc

    Sais-tu où ils sont enfermés ?

    Matthieu

    Non, pas encore...

    Marc

    Il faut faire vite.

    Luc

    Ils font ce qu'ils peuvent... Ne sois pas dur avec eux...

    Matthieu

    Dès demain, nous saurons où ils se trouvent.

    Marc

    Nous devons les retrouver vivants.

    Luc

    Vivants, ils le seront.

    Marc

    Que veux-tu dire ?

    Matthieu

    Luc a raison, ils seront vivants de toute manière.

    Marc

    Alors je ne comprends pas...

    Luc

    L'aveu... C'est tout ce qu'ils désirent.

    Marc

    Mais que peuvent-ils avouer ? Un temps. La vérité est connue de tous.

    Matthieu

    Connue de tous et oubliée de la plupart.

    Marc

    Lavage de cerveau...

    Luc

    La mort de la mémoire, c'est leur unique but.

    Marc

    Le génocide ne leur suffisait pas.

    Matthieu

    Non ! Un temps. Celui-ci doit être oublié.

    Luc

    Aucun de nous ne l'acceptera.

    Matthieu

    Alors nous devrons nous aussi être oubliés.

    Marc

    C'est donc cela leur but. Un temps. L'effacement de toute mémoire.

    Matthieu

    C'est seulement ainsi qu'ils poursuivront leur invasion...

    Luc

    Comme si les gens n'écoutaient que les bourreaux.

    Marc

    C'est ainsi que se referme le piège sur les victimes. Un temps. Nous devons les retrouver le plus tôt possible.

    Matthieu

    C'est ce que nous tenterons de faire.

    Luc

    Laisse-leur un peu de temps.

    Marc

    De combien de temps disposent Anne et Jean ?

    Matthieu

    Ils tiendront le coup.

    Luc

    Oui, j'en suis certain.

    Marc

    Combien de sacrifices seront-ils encore nécessaires pour que vive la mémoire des peuples ?

    Luc

    Tant que les régimes militaires existeront, nous devrons lutter.

    Matthieu

    Lutter dans l'indifférence générale...

    Marc

    Et dans l'isolement social.

    Luc

    C'est l'unique moyen de devenir des hommes...

    Marc

    La mémoire est un morceau d'humanité dans l'homme.



    Scherzo

    Toute la scène se déroule dans la pénombre. Les mouvements sont vifs. Ils dépassent la parole. Des personnages accourent de toutes parts. Ils convergent vers ceux qui sont attachés aux chaises.

    Matthieu

    Ils sont là !

    Marc

    Vite ! Vite !

    Luc

    Anne ! Jean !
    On entend un son sourd.

    Matthieu

    Dans quel état ils les ont mis !

    Marc

    Détachons-les !
    Ils s'affairent autour d'eux.

    Luc

    Je crois que c'est bon !
    Ils les relèvent lentement.

    Matthieu

    Levons-les, à présent. Un temps. Nous devons partir !
    Les trois soutiennent les deux et avancent avec peine.

    Jean

    Laissez-la !

    Anne

    Jean !

    Luc

    C'est nous ! Ne craignez rien !

    Matthieu

    Je suis là avec Luc et Marc.

    Jean

    Matthieu, c'est toi ?

    Matthieu

    Oui, mon ami.

    Jean

    Occupez-vous d'Anne...
    Luc et Marc la soutiennent encore mieux.

    Anne

    Jean ! Jean !

    Jean

    Ce sont les nôtres, Anne, tu n'as plus rien à craindre.

    Anne

    Ne me laisse pas seule...

    Luc

    Anne, tout va bien à présent. Un temps. Vous êtes libres !

    Anne

    Libres ?

    Marc

    Oui, libres !

    Anne

    Jean, méfie-toi c'est encore un de leurs pièges.

    Jean

    Non, non... Un temps. Viens dans mes bras, Anne.

    Anne

    Que vont-ils nous faire encore ?

    Jean

    Plus rien. Il ne nous arrivera plus rien.

    Marc

    Il faut partir.

    Jean

    Mais elle ne peut pas.

    Luc

    Comment ?

    Jean

    Elle ne vous reconnaît pas, la pauvre.

    Anne

    Jean ?

    Jean

    Je suis là !

    Anne

    Reste avec moi. Un temps. Ne me laisse pas seule.

    La scène s'éclaire et nous nous retrouvons dans une maison. Anne est entourée de ses amis. Pourtant elle semble ne pas les reconnaître.

    Marc

    Je ne sais pas ce que nous allons faire...

    Luc

    Elle semble avoir perdu tout souvenir...

    Jean

    Ils nous ont matraqués jour et nuit. Un temps. Si vous n'étiez pas venus plus tôt... Silence. Je serais dans le même état.

    Matthieu

    Vous avez tellement souffert...

    Jean

    Mais elle n'a rien avoué ! C'est pour cela qu'ils l'ont mise dans cet état.

    Luc

    Comment peut-on être si ignobles.

    Marc

    Ils ont commis un génocide, ils sont capables de tout.

    Matthieu

    Alors comment leur résister ?

    Jean

    Peu importe le moyen, l'essentiel c'est de résister.

    Luc

    Cela ne suffit pas ! Un temps. Regarde, Anne. Elle a trop souffert. Elle ne nous reconnaît plus.

    Jean

    Nous lui apprendrons à nouveau l'histoire.

    Marc

    Mais comment ?

    Jean

    Chacun de nous lui dira un texte par jour.

    Luc

    Tu es inconscient.

    Jean

    Alors nous ferons cela de nuit.

    Matthieu

    Vous êtes complètement fous.

    Marc

    Non, nous sommes des résistants et nous l'aiderons par tous les moyens.

    Luc

    Vous avez raison ! Un temps. Nous lui réécrirons l'histoire. Elle restera avec nous.

    Matthieu

    Alors nous commencerons dès aujourd'hui.

    Marc

    A travers elle, nous retrouverons la tradition des peuples qui ont souffert.

    Luc

    Nous devrons remonter le temps.

    Marc

    Le temps est avec nous.

    Jean

    Tant que nous n'oublierons pas.

    Matthieu

    Alors chacun de nous devra consigner tout ce qu'il sait. Un temps. Ainsi elle aura une vision globale de notre histoire.

    Anne

    Jean, tu es là !
    Jean s'approche d'elle.

    Jean

    Oui, Anne. Je serai toujours là.


    Anne

    Parle-moi...
    Jean fait signe aux autres qui se lèvent.

    Jean

    Je raccompagne nos amis.

    Anne

    Ne me laisse pas.
    Il lui prend la main.

    Jean

    Je commencerai donc le premier.
    Il lui parle à voix basse tandis que les autres personnages sortent de scène.
    Variazione
    Nous retrouvons les mêmes personnages plusieurs semaines après les terribles évènements. Leur lutte commune les a encore plus soudés. Ils forment désormais les doigts d'une même main qui ne cesse d'écrire l'histoire afin que l'essentiel ne soit oublié. Chacun est assis à une table, éclairé d'une bougie. L'ambiance est celle d'une bibliothèque cachée. L'un des personnages relève la tête.
    Luc

    Avant que nous n'écrivions à nouveau l'histoire du siècle précédent je n'avais pas conscience... Un temps.

    Anne

    De quoi n'avais-tu pas conscience ?

    Luc

    De l'importance de la notion de génocide.

    Jean

    Cela ne provient pas de toi ! Un temps. Même la langue française n'a découvert ce mot qu'en 1944, comme s'il n'avait pas existé auparavant.

    Matthieu

    Et pourtant bien avant 1944, le siècle avait été blessé par le génocide.

    Marc

    Seulement qui se souvient de 1915 ?

    Luc

    Je me suis rendu compte aussi qu'il existait une idée bien pire que celle du génocide... Silence.

    Jean

    Comment est-ce possible ?

    Anne

    L'oubli ?

    Luc

    Oui, l'oubli mais pas seulement...

    Matthieu

    La reconnaissance... Un temps. Ou plutôt la non reconnaissance...

    Luc

    Oui, c'est cela l'idée. La non reconnaissance du génocide est bien pire que le génocide !

    Jean

    Je ne comprends pas ton raisonnement.

    Luc

    Dans l'expression destruction méthodique qui qualifie le génocide, c'est le mot méthodique qui est le pire.

    Matthieu

    Je comprends à présent ce que veut dire Luc. Un temps. La justice elle-même effectue une distinction entre crime passionnel et crime prémédité.

    Luc

    Ce qui différencie les deux, c'est justement la méthode. Et la non reconnaissance est la continuation de cette méthode.

    Jean

    A travers la négation de la mémoire, ils assassinent les morts.

    Anne

    Il ne leur suffit pas de les avoir torturés ; ils veulent aussi qu'ils meurent dans l'oubli.

    Matthieu

    Les évènements historiques peuvent expliquer l'apparition d'un génocide mais seule l'ignominie peut justifier la non reconnaissance.

    Jean

    Le génocide est une blessure pour l'humanité tandis que la non reconnaissance est une aliénation de l'homme.

    Luc

    Certains hommes n'interviennent pas car ils n'étaient pas présents au moment des évènements sans se rendre compte que leur neutralité ne sert que les bourreaux.

    Matthieu

    Dans le génocide, je vois la barbarie alors que dans la non reconnaissance se trouve son horreur.

    Anne

    Dans la reconnaissance, il y a bien plus que le devoir de mémoire. Il y a la résurrection d'un peuple.

    Marc

    Je partage ces pensées mais ce sont des actes qu'il nous faut.

    Jean

    C'est pour cela que nous écrivons l'histoire.

    Luc

    Mais nous devons aussi écrire l'histoire du futur. Un temps. Les génocides si nous voulons qu'ils appartiennent au passé, nous devons nous occuper de leur reconnaissance.

    Marc

    Nos ennemis ne sont pas les bourreaux qui sont morts mais ceux qui continuent leur oeuvre à travers la non reconnaissance.

    Matthieu

    Et comment convaincre celui qui ne connaît pas !

    Luc

    Pour vaincre avec lui, nous devons naître avec lui.

    Jean

    Pour certains, l'écriture de la déclaration des droits de l'homme est un non sens alors qu'elle est nécessaire.

    Anne

    A travers le génocide, notre lutte s'adresse à l'Humanité.

    Luc

    L'humanité a elle aussi le droit d'exister.

    Marc

    A l'instar de tout homme libre.

    Matthieu

    Nous devons lutter contre tout pays, tout système qui bafoue les droits de l'homme et ne reconnaît pas les génocides.

    Jean

    Nous devons lutter en priorité contre les pays qui ont commis des génocides et qui ne le reconnaissent pas car ils servent d'exemples à l'ignominie.

    Matthieu

    Seulement il faut être prudent.

    Anne

    Comment oses-tu parler de prudence quand il s'agit de génocide ?

    Matthieu

    Ce n'est pas ce que je voulais dire. Justement je pensais à vous, à toi et à Jean.

    Anne

    Ce n'est pas à nous qu'il faut penser mais aux autres qui n'ont pas pu se défendre, aux autres qui sont morts parce qu'ils existaient, aux autres qui ne vivent que dans nos mémoires.

    Jean

    C'est uniquement à cela que nous devons penser.

    Marc

    Pour nous aider je connais une personne qui a survécu au génocide.

    Matthieu

    Nous devons la rencontrer le plus tôt possible.

    Marc

    Alors nous devons aller la voir chez elle. Elle ne peut se déplacer désormais. Les tortures l'ont clouée à son fauteuil.

    Anne

    Nous avons besoin d'elle. Partons !
    Ils soufflent sur leurs bougies et partent.
    Finale


    Anne, Jean, Luc, Marc, Matthieu, Silence et Sophie.


    Dans une petite maison, une pièce est éclairée d’une lumière douce. Là, nous voyons une ombre accompagnée du silence. Nous entendons un bruit de sonnette.

    Sophie

    Ce sont eux !

    Le personnage muet s’éloigne et revient avec le groupe.

    Marc

    Nous ne voudrions pas vous déranger mais nous devions venir vous voir.

    Sophie

    Vous avez bien fait, mes enfants.

    Marc

    Nous voulons que vous nous aidiez.

    Sophie, en montrant sa chaise.

    Cela fait longtemps que je ne peux plus aider personne.

    Le personnage muet pose sa main sur son épaule et elle esquisse un sourire.

    Sans le soutien du silence, je ne serais plus.

    Marc

    Ne dites pas cela… Un temps. Surtout maintenant…

    Sophie

    Pourquoi maintenant ?

    Jean

    Car nous avons un combat à mener.

    Sophie

    Un combat ?

    Luc

    Une œuvre à créer… Silence.

    Sophie

    Ma vie s’achève.

    Anne

    Mais votre œuvre doit subsister.

    Sophie

    Je suis la survivante d'un génocide non reconnu. Un temps. Mon œuvre n’existe pas.

    Matthieu

    Non, c’est faux !

    Sophie

    Pourtant je sombre dans l’oubli et dans l’indifférence générale. Tandis que d’autres négocient le futur de nos enfants avec les bourreaux du passé.

    Marc

    C’est pour cela que nous sommes là !

    Sophie

    Vous arrivez trop tard, mes enfants.

    Marc

    Trop tard ?

    Sophie

    Tous les autres sont morts. Un temps. Je suis la dernière des survivantes. Après moi, plus personne ne pourra les accuser.

    Luc

    Nous nous adresserons à la cour européenne des droits de l’homme.

    Sophie

    Sans documents, ils seront incapables de …

    Matthieu

    Mais vous êtes notre document ! En vous, vit la mémoire du génocide.

    Sophie

    Elle vit comme une note dans un requiem.

    Anne n’y tenant plus embrasse Sophie et elle est rejointe par Jean.

    Jean

    Si nous avions pu être là plus tôt.

    Sophie

    Vous devez vivre, mes enfants. Assez d’hommes n’ont connu que la mort.

    Marc

    Mais à présent il s’agit de l’invasion de l’oubli.

    Sophie, dans un cri.

    Non ! L’oubli ne passera pas !

    Marc

    Alors je vous en supplie, aidez-nous !

    Sophie

    Que dois-je faire ?

    Luc

    Le récit de chaque événement.

    Sophie

    Vous me demandez de revivre la mort… Silence.

    Le personnage muet se penche vers elle et lui souffle un mot à l’oreille. Les autres attendent sa réaction.

    Je le ferai à une condition !

    Matthieu

    Nous ferons ce que vous voudrez.

    Sophie

    Je veux que vous poursuiviez ce combat même après ma mort. Silence. A partir d’aujourd’hui vous serez ma mémoire.

    Anne

    Vous êtes notre humanité.

    Sophie

    Quand voulez-vous commencer ?

    Jean

    Le plus tôt possible.

    Sophie

    Alors nous commencerons en ce jour.

    Elle fait un signe au personnage muet qui sort de scène aussitôt.

    Silence.

    Personne n’ose intervenir. Tout le monde attend son retour.

    Silence.

    Le personnage muet revient entouré d’une immense étoffe noire. Il la traîne avec peine. Tous les autres se relèvent. Il continue imperturbable, son avancée sans se préoccuper d’eux. Il finit par remplir toute la scène de cette étoffe noire.


    Sophie

    Sur cette étoffe sont inscrits tous les noms des victimes du génocide. Il ne manque plus que le mien. Un temps. Prenez-la elle est à vous désormais. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas nous oublier car nous ne sommes plus que cette étoffe noire.

    Chacun à leur tour, ils lèvent l’étoffe noire. Le personnage muet reprend son avancée et sort de scène. Il marche à travers le public. Il est suivi par l’ensemble du groupe qui tente avec peine de retenir ses larmes. Ils sortent tous de scène en laissant Sophie seule.

    Mon Dieu, à présent que ma tâche est finie, prends-moi avec toi.

    Elle penche la tête et ferme les yeux. Le personnage muet accompagné du groupe revient et ils la placent à même le sol, en la recouvrant de l’étoffe noire. Ils s’agenouillent tous.