Génocide et mix stratégique
N. Lygeros
Chaque peuple qui a subi un génocide considère que sa tragédie est unique. Pourtant l’histoire montre non seulement que les génocides ne sont pas un phénomène unique mais de plus que les bourreaux sont récidivistes. Malheureusement nous n’abordons jamais ce point de vue pour lutter contre le génocide de la mémoire. Alors que nous savons qu’un génocide n’est pas ponctuel et qu’il est le résultat de huit phases, nous étudions rarement l’enchevêtrement de phases de différents génocides ou crimes contre l’humanité. Le génocide des Arméniens atteint son paroxysme en 1915 mais il s’étend structurellement parlant sur la période 1896-1923. Au cours de cette période apparaissent d’autres dates comme celle de 1918 qui correspond au génocide des Pontiques mais aussi celle de 1922 qui correspond à la catastrophe de Smyrne. Sans parler de la loi sur la propriété de 1912. L’enchevêtrement de ces phases n’est que rarement utilisé pour accuser l’acte de barbarie commis par la Turquie. Pourtant cette dernière voyait bien ces actes comme une opération coordonnée. Le malheur de chaque peuple génocidé c’est de penser qu’il est seul à affronter la barbarie étatique. Le malheur divise et la barbarie règne. C’est pour cette raison que la Turquie se garde bien d’affronter de la même manière les peuples qui ont subi sa barbarie. Elle a trop peur de créer par contrecoup, un front uni contre elle. Pourtant ce front existe potentiellement même s’il n’est pas nécessaire que l’ensemble de ses membres ait subi un génocide. Une approche transversale est non seulement pertinente mais surtout efficace. Chaque témoignage corrobore les autres. De cette façon, nous n’avons plus un ensemble de cas, mais un véritable faisceau convergent. Pour voir un cas analogue, il suffit de considérer l’exemple ukrainien par rapport à la barbarie du régime stalinien. Certes les Ukrainiens ont subi un génocide de 1932 à 1933 mais il serait judicieux d’utiliser dans un même mix stratégique les Arméniens, les Géorgiens, les Grecs et les Pontiques pour démontrer l’authenticité d’une véritable politique d’épuration de la part de Staline. Cela ne prouve pas que le malheur des peuples soit identique. Mais cela permet d’activer stratégiquement un schéma mental de Gorki à savoir que l’union des malheureux peut rendre heureux. Cela implique d’avoir des connaissances historiques croisées, ce qui présuppose une plus ample étude. Néanmoins l’exemple arménien démontre combien cela est nécessaire pour lutter efficacement contre l’appareil de propagande turc. Car même si le génocide est incontestable, tout est contesté par la Turquie. Aussi nous devons la prendre en défaut et démonter chacun de ses arguments de contestation, en effectuant des recherches croisées. Car il est évident que la Turquie a tout intérêt à mettre en évidence les divergences formelles de ses victimes et affaiblir les points communs qui sont essentiels. Seulement ces points communs doivent être connus sinon nous observons la puissance de la séparation comme dans le cas chypriote où la Turquie bafoue les droits des Arméniens, des Chypriotes Grecs et Turcs, des Latins et des Maronites sans que ces derniers ne se concertent pour lutter contre l’ennemi commun. Heureusement le mix stratégique devient peu à peu une réalité et montre à toutes ces communautés son immense potentiel.