Sur l’envergure du mémorial
N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras
Le Mémorial Lyonnais pour le génocide des Arméniens n’est pas seulement un symbole. Il ne recherche pas une symbolique spécifique. Car la pire des choses qui puisse arriver à un symbole, c’est de devenir symbolique. Le rôle du Mémorial n’est pas seulement commémoratif. Il ne s’agit pas uniquement d’un objet lié au souvenir. Il ne peut être que cela. Car le souvenir n’est associé qu’à ce qui est reconnu et incontestable. Le Mémorial a une dimension de revendication car la Turquie n’a pas encore reconnu son rôle dans le génocide. Le Mémorial n’est pas seulement beau. Sa présence est gênante. Son architecte a réussi la prouesse de l’intégrer parfaitement dans le patrimoine lyonnais. Aussi bien intégré dans son contexte, il en devient encore plus gênant par son envergure humaine. Car son universalité embrasse les droits de l’homme. Il est donc devenu le fer de lance d’une cause qui transcende l’arménité pour mettre en valeur l’humanité. Son existence à l’instar de celle d’un survivant du génocide dénonce le crime contre l’humanité. Si son architecture est restreinte à un podium d’une place aux côtés d’un clocher, il n’en est pas de même pour sa mission. Nous avons un bel exemple d’œuvre qui dépasse son concepteur, et de mission qui transcende l’œuvre. Si cette dernière existe cela provient du fait que la France a reconnu le génocide des Arméniens en 2001. Si cette œuvre n’a pas été détruite et saccagée par la barbarie turque, c’est en raison du processus de pénalisation qui se met en place. Le Mémorial est un indicateur pour les droits de l’homme. Son état architectural montre celui de l’état français. Si nous fléchissons face aux menaces alors le Mémorial sera détérioré comme il l’a été au moment de nos faiblesses. Du point de vue esthétique, le Mémorial est l’analogue du portrait de Dorian Gray, la célèbre œuvre d’Oscar Wilde. Sa beauté sera défigurée et ce d’autant plus, que notre lâcheté envers la barbarie sera grande. L’architecte du Mémorial nous a offert ce tableau dépourvu de symbolique interne afin de nous permettre de mieux représenter la nôtre. Si le Mémorial est beau c’est parce que la France a reconnu le génocide des Arméniens. Si nous voulons que le Mémorial ne soit pas saccagé, nous savons ce que nous avons à faire. Le Mémorial fonctionne donc comme un témoin du passé mais aussi comme un gardien de l’avenir. Si sa présence gêne c’est parce que son existence revendique. Il ne se contente pas d’être, il devient. L’architecte du Mémorial n’a pas offert une œuvre statique. Le Mémorial a une dynamique à l’instar d’une partition de musique qui n’attend que d’être jouée. Seulement le Mémorial n’attend pas, il joue déjà son rôle et celui-ci est universel car il est le silence des langues, de toutes les langues.