Le syndrome du survivant
N. Lygeros
Avant de caractériser les peuples qui ont subi un génocide, il serait bon d’analyser le syndrome du survivant. Cela permettrait de comprendre le suicide de Primo Levi, le désespoir et le problème de la solidarité. L’impact produit par un génocide sur un peuple est difficilement mesurable. Il influence toute sa mémoire collective mais aussi sa psychologie. Car face à ces conditions extrêmes et inhumaines, l’individu en est bien souvent réduit à une survie biologique. Son mental est affecté car tout est remis en cause. Après le génocide, il n’existe qu’une certitude, la puissance de la faucheuse. Car c’est bien elle qui produit le résultat final et non la barbarie. Après cette épreuve, le survivant conçoit son existence comme une culpabilité. Il est coupable de ne pas être mort. Cette culpabilisation explique aussi bien le comportement des Juifs par rapport aux chambres à gaz, celui des Arméniens par rapport à la résistance, celui des Ukrainiens par rapport à l’anthropophagie. L’art du bourreau est avant tout celui de rendre la victime coupable. Son existence n’est pas une remise de peine. C’est bien souvent une nouvelle peine que la victime doit affronter seule et surtout mentalement isolée. Très peu d’hommes sont capables de faire survivre leur humanité après un génocide car l’acte de barbarie remet en cause leur foi en l’homme. Aussi il est trop facile de critiquer la solidarité d’un peuple dans ces conditions. Pour se reprendre il faut du temps car la prise de conscience est difficile. Tandis que le bourreau continue la huitième phase du processus génocidaire, avec le génocide de la mémoire. La victime ne s’est pas encore remise debout et le bourreau lui efface déjà son nom. Cependant la souffrance demeure même si elle ne s’exprime pas ouvertement. Le pire c’est que le bourreau connaît les sentiments de la culpabilité et d’infériorité, aussi il en profite pour asseoir son dogme stratégique. Mais le pire n’est pas le comportement du bourreau car même s’il est absurde du point de vue humain, il n’en demeure pas moins prévisible du point de vue stratégique. Non, le pire provient du jugement du peuple qui a subi le génocide. En effet il a tendance à se dénigrer et à considérer qu’il n’est pas valable de mettre en application ses rêves, ses visions et ses objectifs. Or rien n’est moins faux que tout cela. Penser cela va dans le sens du dogme du bourreau. Seulement dans le peuple, il y a toujours des hommes, des guerriers de la paix qui sont capables d’inspirer la confiance des victimes et de leur donner les moyens de mener à bien leur cause. Même si ces hommes sont rares comme l’affirme la propagande, ils suffisent à mettre en place une stratégie de défense capable de remettre en cause la suprématie du bourreau. Si ces hommes parviennent à transcender les obstacles du peuple victime face à sa propre mentalité, c’est qu’ils obéissent à des schémas mentaux bien plus anciens et bien plus profonds que le génocide. Car ils savent que le génocide n’est que la preuve de leur valeur en tant que peuple. La victime ne devient victime qu’en raison de sa valeur.