La liberté de blâmer
N. Lygeros
La négation du génocide des Arméniens pose un problème de fond dans le domaine des droits de l’homme à savoir la liberté de blâmer. Dans un système démocratique nous fonctionnons par principe, avec le dogme de la liberté de penser. Acquis et non vestige du siècle des Lumières, la liberté de penser semble, a priori, interdire la liberté de blâmer. Dans ce cadre formel, tout devient possible, car rien n’est interdit. Seulement nous créons ainsi un paradoxe puisqu’il existe la possibilité de nier. Et si nous n’engendrons pas un métasystème conceptuel alors nous demeurons impuissant devant la négation. Car sous prétexte de liberté absolue, nous générons l’absolu du possible. Toute opinion est possible car aucune ne doit être rejetée. Aussi nous admettons même l’inadmissible afin de garantir la liberté. Pourtant face à ce problème éthique, il nous faut réaliser que justement tout n’est pas permis. Non pas en raison de l’existence d’une entité surhumaine au sens religieux du terme. Mais à cause de l’existence de l’humanité. Cette notion quelque peu abstraite acquiert du sens avec celle de crime contre l’humanité. Tout n’est pas possible, car nous ne pouvons commettre un crime à l’encontre de l’humanité sans engendrer un coût. Peu importe dans un premier temps, qu’il soit éthique, social ou humain. Ce qui est certain, c’est qu’il existe. Et cette existence implique la nécessité de la liberté de blâmer. Nous ne pouvons pas accepter un génocide d’innocents. Nous ne pouvons accepter la condamnation des justes. Et nous ne pouvons pas accepter un génocide de la mémoire. Il faut donc nous doter non seulement d’outils juridiques mais de véritables armes nomologiques. C’est dans le cadre de ces réflexions que nous devons intégrer le concept de pénalisation. Hors de son contexte spécifique, la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens, n’est qu’une pénalisation comme une autre. Et par ce biais, elle est interprétable, et donc interprétée par les fanatiques de l’oubli comme un obstacle à la liberté de penser. Alors qu’en réalité, c’est bien le contraire qui a lieu car la pénalisation de la négation représente une forme de résistance qui justement garantit la liberté de penser. Car en donnant la liberté de blâmer un régime autoritaire, nous offrons la liberté de penser aux démocraties. De plus, cela permet aux minorités qui sont par définition sous représentées de s’exprimer, et ce, sans craindre les répercussions négatives de la part de la majorité. De cette manière, toute sous partie de l’humanité peut être défendue de manière efficace. Aussi la liberté de blâmer est l’outil par excellence dans le domaine des droits de l’homme. Ainsi la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens, est un cas générique de défense des droits de l’homme. Il représente la réponse adéquate à la résurgence de l’acte de barbarie à travers la négation du génocide. C’est l’expression du droit à l’humanité de se protéger elle-même d’une tentative suicidaire. Il ne s’agit donc absolument pas d’une riposte exagérée comme certains commentateurs malintentionnés tentent de le faire croire grâce à une argumentation fallacieuse. Ce n’est pas un attentat à l’encontre de la liberté de penser mais un schéma mental protecteur qui provient de l’apport du métasystème afin de prévenir une dégénérescence du système humain via un absolutisme dogmatique et rhétorique.